Par Bugandwa Zigabe Innocent, analyste politique

Conformément à l’article 85 de la Constitution congolaise, après concertation avec les présidents des deux chambres du Parlement, en date du 02 mai 2021, le président de la République a proclamé l’état de siège sur les provinces d’Ituri et du Nord Kivu.

Cette proclamation a été suivie par l’ordonnance n° 21/015 du 03 mai 2021 portant mesures d’application de l’état de siège sur une partie du territoire congolais.

Ces mesures sont, entre autres, la substitution des gouverneurs de province civils par des gouverneurs militaires à qui l’ordonnance accorde des prérogatives « exorbitantes » dans les limites du respect de la dignité humaine, du respect de la vie et de la propriété privée.

Ce faisant, le Chef de l’Etat tient compte du noyau dit intangible des droits de l’homme qui implique que malgré l’état de siège, certains droits de l’homme soient protégés.

Il s’agit du droit à la vie, à l’intégrité physique (interdiction de la torture), le respect de certaines garanties judiciaires (le principe de la légalité des délits et des peines, le droit de la défense, le droit de faire appel, l’interdiction de l’emprisonnement pour dette) etc. 

Les ordonnances prises par le chef de l’Etat visent à mettre en place des mesures exceptionnelles en vue de mettre un terme aux situations qui sévissent dans les deux provinces, lesquelles situations, par leur gravité, sont de nature à menacer l’intégrité du territoire national.

Les mesures prises visent concrètement à en finir définitivement et radicalement avec les massacres récurrents qui affectent ces provinces depuis plus de 5 ans.

Toutes ces mesures vont sans doute contribuer à la sécurisation durable de ces deux provinces. Cependant, la présente publication veut mettre en évidence certains préalables sans lesquels on ne saurait arrêter les tueries.

  • Le passé des gouverneurs désignés suscite quelques appréhensions. Il se dit que le Général Johnny a été le chef de sécurité militaire du RCD tandis que son collègue, est présenté dans le rapport mapping comme étant la personne surnommée « effacez le tableau » étant donné les massacres et les actes de cannibalisme dans lesquels ils seraient impliqués.

Ces faits laissent craindre d’autres violations graves de droits de l’homme et des droits humanitaires.

Les nouveaux gouverneurs doivent se rappeler que la CPI peut les poursuivre même pour les faits qu’ils n’ont pas directement commis en vertu de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique.  Voir article 28 des Statuts de Rome.

L’expérience de l’ancien vice-président est à ce propos très enrichissante.

Il est donc important, que l’une des tâches prioritaires des deux gouverneurs soit de former les troupes sur le droit international humanitaire et de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables en vue d’éviter les atteintes aux droits de l’homme.

Au-delà de ces craintes, on peut espérer qu’ayant déjà vécu dans la zone, les deux gouverneurs disposent d’un réseau assez dense de personnes qui peuvent faciliter leur travail en termes d’informations.

Disposant d’une bonne connaissance des réalités du terrain ils peuvent planifier efficacement les opérations contre les ADF/NALU, les milices congolaises et pour la ville de Goma, les bandes armées qui écument le parc des Virunga et les montagnes volcaniques.

  • Malgré les limites imposées par l’ordonnance du 03 mai 2021, il y a lieu de craindre les violations des droits de l’homme que pourraient commettre des hommes de troupe mal payés et dont les primes de guerres feraient l’objet de détournement.

Pour les deux gouverneurs affectés à l’Est du pays, l’une des responsabilités sera d’assainir les bataillons basés dans leurs provinces respectives où des officiers affairistes ont tissé des relations d’affaires avec les chefs de guerre et les opérateurs économiques.

Ces officiers utilisent pour eux-mêmes les espèces et les biens destinés aux militaires au front. Il n’est pas rare de retrouver sur le marché les rations réservées aux militaires.

La misère dans laquelle vivent les militaires au front et leurs familles restées en ville, les démotive et les pousse à poser des comportements irrationnels, immoraux et illégaux comme brader les positions des militaires congolais moyennant quelques dollars, vendre les informations sur les opérations planifiées et tous autres actes de trahison dus à l’instinct de survie.

En plus de maltraiter les troupes qui leur sont confiées, ce serait avec l’aide des officiers militaires envoyés au front que les minerais et les bois traverseraient frauduleusement les frontières de la RDC pour rejoindre les Etats voisins.

De même les marchandises en provenance de Bunia et de Beni, remplaceraient les effets militaires pour être vendues à Kinshasa.

Au retour de Kinshasa, les équipages se livreraient au transport des passagers.
Ces comportements, s’ils sont avérés, ne sont pas de nature à faciliter la concentration et l’engagement dont les troupes ont besoin pour gagner leurs batailles contre l’insécurité.
Il est nécessaire que les gouverneurs assainissent les corps des officiers, sévissent fortement et ne laissent aucune place aux comportements de ce genre qui réduiraient les performances des militaires et induiraient des violations des droits de l’homme sur la population locale.

Les dispositions pertinentes du code pénale militaire peuvent aider à remettre sur les rails les officiers cupides et à mieux contrôler les militaires,

  • Avoir un contrôle effectif sur les hommes de troupes et les officiers est d’autant plus important que les atteintes graves aux droits de l’homme ne sont pas de nature à faciliter la coopération des civils. La participation des communautés à la lutte est importante.

Nul n’ignore que lorsqu’un conflit ouvert dure trop longtemps comme c’est le cas à Beni, en Ituri et au Sud Kivu, les milices développent des relations sociales assez solides avec les membres des communautés.

Les interactions entre les miliciens et les membres des communautés sont tellement denses qu’il devient impossible de distinguer les civils des combattants.

Ceci est encore plus vrai en Ituri et au Sud Kivu où les forces négatives émanent en grande partie de leurs communautés qu’ils prétendent défendre.

Certains se sont mariés avec les filles de la communauté, utilisent leurs belles familles et leurs amis pour le commerce, pour se ravitailler en nourriture ou en munitions, pour se cacher ou pour obtenir des informations sur les positions des FARDC.

Par conséquent, les gouverneurs devraient envisager de collaborer avec les confessions religieuses locales et la société civile pour sensibiliser la population sur les conséquences de la guerre et pour l’appeler à se désolidariser avec les milices et à dénoncer les personnes qui collaborent avec elles.

De leur côté, les officiers et les hommes de troupe devraient éviter de développer des relations tendues avec les membres de la communauté.

  • Ce rapprochement avec les communautés va permettre aux nouveaux gouverneurs de vérifier et de s’imprégner des enjeux historico sociaux des conflits car l’état de siège étant essentiellement et intrinsèquement une solution militaire. Ceci alors que les communautés ne se battent pas sans raison.

Il y a des causes à ce qui se passe dans les deux provinces. Je ne parle pas de justification, car rien ne peut justifier les massacres des civils innocents. Je parle tout simplement des sources des conflits. Celles-ci sont à rechercher dans l’histoire et dans le potentiel économique de ces provinces, riches aussi bien en bois, en minerais, en pétrole, qu’en produits alimentaires. Ces causes sont aussi à retrouver dans la flambée démographique des certains territoires voisins dont les populations chercheraient légitimement un exutoire ailleurs mais qui n’y sont pas acceptés suite aux replis identitaires dus aux artisans de la «régionalisation des cadres» depuis 1990, suite également aux séquelles des guerres dites de libération qui sont imputées à certaines communautés. De même, ces causes sont à rechercher dans le mode de vue des uns (Pasteurs) et des autres (agriculteurs).

Devant ces réalités sociologiques, la solution militaire à elle seule est insuffisante. Elle peut mettre fin aux massacres aujourd’hui sans assurer qu’ils ne resurgiront pas dans quelques mois. La solution militaire doit être complétée, au moins en aval, par la redynamisation des instances de discussion intercommunautaire dont les résolutions peuvent inspirer les décisions des autorités nationales et locales pour un retour durable de la paix.

  • Il nous semble important aussi de fournir aux FARDC les appuis logistiques et techniques dont elles ont besoin pour la surveillance de la zone, le suivi des mouvements des milices, l’écoute et la géolocalisation des milices armées et en particulier de leurs chefs et leurs autorités « morales » basées dans les chefs-lieux et dans les capitales, y compris des pays voisins.

Ces soutiens matériels ne seraient pas nécessaires si la MONUSCO jouait franc jeu et mettait à la disposition des FARDC, les informations assez fournies dont elle dispose sur les groupes armés.

Mais je crains que cette organisation ne soit en train de jouer à une sorte d’absurde neutralité entre des milices sanguinaires et un Etat dit fragile.

Invoquer la neutralité dans une situation comme celle que vivent les populations de Beni et de l’Ituri, c’est se rendre complice de ces atrocités. Je crois pour ma part, que c’est ce qui explique le ras le bol exprimé récemment par la population de Beni et de Bukavu quant à la présence jugée inutile de la MONUSCO. 

A défaut d’obtenir ces précieux renseignements de la MONUSCO, la République doit elle-même équiper les FARDC des outils nécessaires à la collecte et à l’orientation de leurs offensives. Il est malheureux de constater qu’en plein 21e siècle les militaires congolais se lancent à l’aveuglette dans les affrontements contre des milices armées nationales et étrangère dans les forêts équatoriales déjà difficilement accessibles. Equiper une armée aujourd’hui, ce n’est pas seulement la doter des tenues, des fusils et des véhicules.

C’est surtout mettre à sa disposition les matériels modernes, y compris numériques, dont elle a besoin pour mieux planifier ses actions, anticiper sur ses adversaires, mener des attaques plus ciblées etc. Ces outils doivent permettre de surveiller les communications, de suivre les mouvements des milices et tracer un profil plus précis de leurs leaders et de les neutraliser au moment opportun.

Les impératifs de la paix et de la sécurité à Beni, en Ituri et dans les territoires du Sud du Sud Kivu (Malheureusement le Sud Kivu n’est pas concerné par l’état de siège) exigent que l’Etat affecte un budget conséquent au Ministère de la défense pour l’acquisition et le déploiement des tels matériels sans lesquels l’état de siège risque de durer 22 ans comme une certaine mission dite de maintien de la paix en République Démocratique du Congo,

  • Les gouverneurs nouvellement affectés doivent aussi prendre en compte les dimensions transfrontalières des tueries : la porosité de nos frontières est à la fois une cause et un aliment pour les événements malheureux qui endeuillent l’Ituri, le Nord et le Sud Kivu. En effet, les ADF/NALU sont un mouvement mystico religieux, qui était à l’origine opposé au pouvoir en place en Ouganda et qui s’est infiltré en RD Congo pour s’y constituer une base arrière.

L’armée et la sécurité ougandaises étant puissantes, ces rebelles n’attaquent plus leur pays d’origine mais se sont rabattus sur les paisibles congolais sur qui ils expriment leurs instincts sanguinaires. Ils ont été identifiés par les Etats Unis comme une entité terroriste car se disant eux-mêmes islamistes.

Il y a lieu de croire qu’ils bénéficient des appuis des mouvements terroristes plus connus comme Al-Qaïda. Il faut ajouter à ceci que les mouvements rebelles actifs à l’Est de la RD Congo entre 1998 et 2003, ont, au moment de la réunification du pays, déversé au sein de la Direction Générale des Migrations leurs agents dont la neutralité par rapport à l’insécurité les provinces de cette zone et l’attachement à la mère patrie restent sujettes à caution. Tout ceci renforce la perméabilité de nos frontières.

Les milices peuvent entrer en RD Congo, y séjourner pendant quelques semaines en train de tuer, de violer les femmes et les filles, d’incendier des maisons, de piller des villages entiers, puis traverser allégrement nos frontières avec l’aide des agents véreux pour se reposer tranquillement dans les pays voisins où ils se fondent parmi les commerçants, les demandeurs d’asile ou les personnes en visites touristiques pendant que leurs complices les remplacent et poursuivre leur sale besogne.

Les politiciens congolais aussi bien que les gouverneurs militaires doivent impérativement prendre en compte cette réalité et envisager dans les plus brefs délais des actions idoines. La première étant la permutation des agents de la DGM qui travaillent aux frontières de la RD Congo avec l’Ouganda et le Rwanda et leur remplacement par des fonctionnaires plus neutres et sans accointances avec ni les rebelles ni les politiques de ces pays. En plus, le renforcement des services d’identification numériques aux frontières, terrestres, maritimes et aéroportuaires de la RDC et des pays voisins est nécessaire. En effet, il est impérieux de collecter les identités, y compris les données biométriques de toutes les personnes qui traversent les frontières de la RD Congo de façon à pouvoir contrôler les allées et retours des uns et des autres. Des patrouilles devraient également être organisées autour de ces frontières.

Voilà en gros quelques idées que je souhaite partager avec l’opinion et qui je l’espère vont contribuer à rendre plus efficace l’état de siège proclamé et mis en œuvre en Ituri et dans la province du Nord Kivu.

Bugandwa Zigabe Innocent, analyste politique




Julien BAMUPENDE

Julien BAMUPENDE - 07/05/2021 15:08 - Répondre 

C'est riche


Job KAKULE

Job KAKULE - 06/05/2021 22:15 - Répondre 

Bien...