Un nouveau rapport de CriticalThreats.org révèle que le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda, a franchi une étape inédite dans l’histoire des rébellions congolaises : transformer ses victoires militaires en un véritable projet de construction étatique dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon ce document, le M23 a mis en place une administration complète qui se substitue progressivement à l’État congolais, en nommant des gouverneurs, vice-gouverneurs, maires et chefs locaux, en installant au moins 90 nouveaux cadres civils dans les territoires conquis, en délivrant des documents officiels comme les actes d’état civil, les certificats de mariage ou les autorisations de déplacement, en contrôlant les médias, en encadrant les écoles, en supervisant les affaires sociales et juridiques et en menant des opérations de rapatriement de réfugiés, parfois forcé, modifiant ainsi la composition démographique et foncière des zones sous son contrôle.

Sur le plan économique, le mouvement rebelle a lancé plusieurs initiatives pour contrôler et formaliser l’économie locale, en rouvrant une banque publique, en prélevant des taxes locales, douanières et minières, en renforçant son emprise sur les chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques tels que le coltan, l’or, l’étain et le tungstène, en exploitant et taxant les principaux axes commerciaux et en gérant des infrastructures allant de l’eau au transport lacustre, des routes minières à la collecte des déchets. Même si les sanctions internationales limitent son accès au système financier global, le M23 tente de bâtir une économie indépendante de Kinshasa, consolidant son autonomie.

Militairement, le groupe cherche à établir un monopole de la force dans les zones sous son contrôle, en procédant à des recrutements massifs incluant la conscription forcée de civils, d’anciens combattants et même de détenus, en affaiblissant les groupes armés rivaux tels que les FDLR et certaines milices Wazalendo, en sécurisant les centres urbains par des patrouilles régulières et en recourant, selon le rapport, à des exécutions extrajudiciaires et à des détentions arbitraires, des méthodes qui pourraient constituer des violations du droit international humanitaire.

Contrairement aux précédentes rébellions soutenues par Kigali, comme le RCD ou le CNDP qui se concentraient principalement sur la sécurité et l’exploitation minière, le M23 cherche à instaurer une architecture d’État parallèle durable. L’ONU estime que le mouvement vise explicitement à créer une « région autonome » dans l’Est de la RDC, tandis que Human Rights Watch considère que le soutien militaire du Rwanda équivaut à une occupation étrangère. Depuis sa résurgence en 2021, le M23 a considérablement élargi son emprise, en prenant notamment Goma et Bukavu début 2025, doublant ainsi son territoire en quelques mois. Le groupe contrôle désormais environ 5 800 miles carrés, soit l’équivalent de la moitié de la Belgique, et administre près de 5 millions de personnes.

Ce projet de construction étatique représente une menace directe pour les efforts de médiation en cours menés par l’Union africaine, le Qatar ou les États-Unis, tout en bouleversant les chaînes mondiales d’approvisionnement en minerais stratégiques essentiels aux industries technologiques. Il soulève également la question de la reconnaissance internationale d’un pouvoir rebelle agissant comme un État de facto et expose les populations locales à de nouvelles violations des droits humains dont la responsabilité pourrait être engagée devant des juridictions internationales. Pour CriticalThreats.org, le M23 n’est plus seulement une rébellion armée mais une organisation cherchant à établir un ordre politique, économique et militaire alternatif, transformant l’Est de la RDC en une entité quasi étatique et posant un défi urgent à la paix, à la justice et à la gouvernance.