![[Tribune] ADF: 27 ans de guerre, six opérations militaires et toujours la même menace (Fred Mastaki)](/media/posts/689369f2ce7cb270322442.jpeg)
Par Fred Mastaki
Depuis 1998, l'Est de la République Démocratique du Congo vit au rythme d’une guerre sans fin contre les Forces Démocratiques Alliées (ADF).
Malgré six grandes opérations militaires menées sur près de trois décennies, la menace persiste, s’étend, et continue de faire des victimes.
Cette longévité interroge et alarme : que faut-il de plus pour en finir avec cette nébuleuse meurtrière ?
D'une rébellion ougandaise à une hydre jihadiste
Les ADF sont nées en Ouganda dans les années 1990, au départ comme une coalition islamiste opposée au régime de Kampala.
Rapidement chassées vers l'Est de la RDC, elles y trouvent refuge, s'installent, et se transforment.
Loin de disparaître, elles se renforcent, abandonnant progressivement leur lutte politique initiale au profit d’un projet jihadiste transnational.
En avril 2019, les ADF sont officiellement reconnues comme affiliées à l’État islamique, au sein de sa « Province d’Afrique centrale » (ISCAP).
Ce lien, amorcé discrètement dès 2017, est confirmé par des revendications publiques d’attaques.
Il a profondément modifié leur stratégie, leur structure, et surtout leur degré de dangerosité.
Les ADF ne sont plus un simple groupe armé local : ils sont aujourd’hui un acteur du terrorisme régional.
Six opérations militaires… pour quel résultat ?
Face à l’ampleur des violences, l’État congolais a lancé plusieurs campagnes militaires : Mountain Sweep (1998), Safisha Ruwenzori (2005), Radi Strike (2010), Keba I (2014), Sukola I (2015), Shujaa (2021).
Ces opérations, recensées dans le mémoire du professeur Jaribu Muliwavyo (« Radicalisation et extrémisme violent en RDC »), montrent une continuité de l'engagement militaire congolais.
Des chefs ont été neutralisés, des caches détruites, certaines localités reprises.
Mais à chaque fois, les ADF se sont adaptées, relocalisées, et ont repris leurs attaques.
Le cycle est connu : offensive, repli, résurgence. La menace, elle, demeure. L’efficacité des opérations reste limitée dans le temps et dans l’espace.
Une organisation en mutation constante
Selon le chercheur Caleb Weiss (Bridgeway Foundation), les ADF opèrent aujourd’hui avec un appui structurel de l’État islamique, notamment à travers le Maktab al-Karar, un bureau de coordination et de financement lié à la branche somalienne.
Ce réseau assure des ressources logistiques, humaines et idéologiques qui rendent le groupe résilient, voire expansif.
Même lorsque ce lien semble affaibli, les ADF disposent des relais locaux, d’une capacité d’enrôlement dans les zones marginalisées, et d’une stratégie de terreur qui leur permet de garder l’initiative sur le terrain. Leurs capacités évoluent, mais ne s’éteignent pas.
Des efforts visibles de l’État congolais mais insuffisants
Il faut le reconnaître : l’État congolais n’a pas été inactif. Des moyens militaires ont été déployés, la coopération avec l’Ouganda s’est renforcée, les services de renseignement ont été impliqués, et des zones sensibles sécurisées.
À court terme, certains résultats sont visibles, notamment la réduction d’attaques dans quelques zones ciblées.
Mais la menace persiste, parce qu’elle dépasse le simple champ militaire. Tant que la réponse se limite aux armes, sans stratégie globale, la situation reste fragile.
L’État ne peut gagner cette guerre seul, ni uniquement avec des fusils.
Conclusion : une menace persistante, un avenir en péril si rien ne change
Vingt-sept ans après les premières offensives, la menace ADF est toujours là. Ni Mountain Sweep, Safisha Ruwenzori, Radi Strike, Keba I, Sukola I, Shujaa n’ont suffi.
Chaque fois que le groupe semble affaibli, il se réorganise, se redéploie, frappe ailleurs et souvent plus violemment.
Si cette résilience inquiète, c’est parce qu’elle révèle une vérité inconfortable : l’approche actuelle reste incomplète.
Sans une action plus globale, les ADF continueront à représenter l’une des plus graves menaces sécuritaires et humanitaires de la région.
Le groupe terroriste s’adapte, enrôle, se finance, et tisse des liens avec des réseaux jihadistes plus larges.
En face, si la réponse reste uniquement militaire, sans y associer les jeunes désœuvrés, les communautés locales, sans s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation, la RDC court le risque d’un enlisement encore plus profond.
Il ne s’agit plus seulement de repousser une menace. Il faut aujourd’hui empêcher qu’elle ne devienne permanente.
Le statu quo est un danger. Si rien ne change dans la méthode, la guerre contre les ADF pourrait encore durer des décennies, avec son cortège de morts, de déplacés, et de territoires livrés à la peur.
Il est temps de bâtir une riposte plus intelligente, plus proche des populations, et plus audacieuse.
Car à défaut, la RDC risque d’ajouter aux 27 années de guerre, 27 autres de silence, de sang, et d’impuissance.
Par Fred Mastaki
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